C’est le 27 avril 1848 que l’esclavage a été aboli en France, libérant ainsi des millions de noirs de leurs chaînes dans les colonies. Toutefois, en Guyane Française, certains esclaves n’ont pas attendu cette déclaration pour fuir et profiter de leur liberté. Ces fugitifs étaient appelés par les colons les « marrons ». Parmi eux, il y avait les Bonis de Guyane qui se sont farouchement battus contre l’emprise de l’homme blanc. Ce peuple s’est installé dans la forêt Guyanaise où il a vécu loin de l’oppression.

D’où viennent les Bonis de Guyane ?
L’histoire commence à Surinam qui était, à l’époque, un territoire anglais. Les colons avaient emmené des esclaves venus d’Afrique avec eux pour donner plus de valeur à ces terres et pour les exploiter. Les événements se déroulent vers 1650, à la moitié du XVIIe siècle. C’est en 1667 que cette colonie tombe entre les mains des Hollandais à la suite du traité de Breda. Dans cet accord, les Anglais avaient cédé Surinam contre New Amsterdam qui est aujourd’hui plus connu sous le nom de New York.
Sous le joug des Hollandais, les esclaves qui étaient restés sur place ont commencé à travailler dans des plantations de canne à sucre. Les récoltes étaient acheminées vers la métropole hollandaise pour être vendues sur le marché européen. Contrairement aux Français, les Hollandais n’appliquaient pas le code noir. Les maîtres avaient le droit de punir les esclaves qu’ils jugeaient décadents comme bon leur semblait. En conséquence, les actes horrifiques et innommables se sont succédé au fil des années dans la colonie, des infanticides aux suicides.
Ce genre de traitement était anodin dans les plantations américaines. Néanmoins, cela a fini par créer des soulèvements au sein de la communauté des esclaves. Certains décident de fuir par petit groupe dans la forêt. Et bientôt, un grand mouvement de marronnage voit le jour au Surinam. Parmi eux, les Aluku, plus connus sous le nom de Bonis de Guyane.

Retour sur le concept du marronnage
Durant l’époque coloniale, les actes de marronnage étaient très fréquents. Le terme « marron » vient du mot espagnol « cimarron » qui se traduisait par « s’enfuir » ou « s’échapper ». À l’origine, ce mot était employé pour désigner les animaux domestiques qui devenaient sauvages et se retournaient contre leur propriétaire. Très vite, c’est devenu une expression courante pour décrire les esclaves noirs en fuite.
Le marronnage, c’est quoi ?
Le marronnage est un statut adopté par des noirs en situation d’esclavage qui, las des mauvais traitements qui leur étaient infligés et de leurs conditions de vie exécrables, décidaient de déserter. Ils prenaient la fuite avec toute leur famille, notamment leurs femmes et leurs enfants s’ils en avaient. C’était un phénomène très fréquent dans les Antilles et en Guyane française (surtout au Surinam), mais aussi dans les colonies de l’Océan Indien comme La Réunion, l’île Maurice et les îles Rodrigues. Tous les colons avaient leur lot de marrons, que ce soient les Français, les Britanniques, les Portugais ou les Hollandais.
Généralement, les marrons restaient cachés dans les montagnes ou dans les hautes forêts durant des années sans jamais être retrouvés. Certains noirs en cavale s’installaient dans des cirques qui désignent des dépressions ou des crevasses à parois abruptes. Ainsi, les maîtres blancs qui partaient à leur recherche se décourageaient rapidement. Les plus courageux décidaient même de poursuivre leur route jusqu’à l’île de Madagascar.
Au Surinam, les marrons prenaient la fuite pour s’installer dans les forêts tropicales de l’arrière-pays qui traversaient le fleuve Maroni. Ce territoire, à la frontière du Surinam et de la Guyane Française, est devenu le territoire d’une tribu de Noirs Marrons de l’époque : les Alukus ou Bonis de Guyane.
Quelles sont les lois qui régissent le marronnage ?
Dans les colonies françaises, l’exploitation des noirs et l’esclavage étaient régis par le Code Noir. Ce recueil composé d’environ une soixantaine de lois a été régulièrement mis à jour jusqu’en 1685. Son objectif était de résoudre les conflits entre les nègres et leur maître blanc tels que les problèmes liés à la supériorité numérique, aux révoltes, aux actes de marronnage, l’éducation religieuse des esclaves et les relations sexuelles entre un esclave et son maître. Bien que ce fût un recueil de lois françaises pour les colonies françaises (Antilles, Guyane, île Bourbon), il fut vite adopté par les autres pays en raison de son efficacité.
Selon le Code Noir, les esclaves accusés de marronnage étaient punis par la mutilation ou par la mort s’ils récidivaient plus de trois fois. Dans certaines colonies françaises, les maîtres faisaient porter un collier aux bouts recourbés aux nègres marrons pour qu’ils ne puissent plus s’enfuir. Généralement, si la période de fuite de l’esclave n’est que de courte durée et qu’il décide de revenir par lui-même, son maître n’est pas tenu de le châtier. Mais très peu de colons blancs consentaient à cette pratique, les autres préférant punir sévèrement les esclaves décadents (marquage au fer, mutilation, torture, etc.).
Comment sont nés les Bonis de Guyane ?
Comme la plupart des esclaves noirs déportés en Amériques, les esclaves marrons de Surinam, qui deviendront les Bonis de Guyane, sont d’origines africaines. Il est important de noter que par rapport aux autres tribus nées du marronnage, les Bonis ont particulièrement bien conservé les cultures de leur continent natal, notamment grâce à leur isolement. C’est d’ailleurs grâce à ce caractère très conservateur que certains chercheurs ont pu déterminer les véritables origines des Bonis : ces derniers seraient principalement issus de l’aire culturelle akan que l’on retrouvait au Ghana, en Côte d’Ivoire ainsi qu’au Congo et dans le golfe du Bénin.
Des plantations aux forêts du Surinam
Les ancêtres des Bonis étaient des esclaves travaillant dans la colonie hollandaise du Surinam. Les conditions de vie des esclaves y étaient particulièrement atroces et beaucoup décidèrent de prendre la fuite. Ce fut le début d’une longue série de marronnages.
En 1712, les colons français tentent de s’emparer de Surinam, mais finissent par laisser ce territoire sous contrôle hollandais en échange d’une capitation (impôt par tête d’esclave). Pour y échapper, les maîtres cachaient leurs esclaves dans les forêts. Un grand nombre d’entre eux ont profité de cette occasion pour ne plus revenir. En s’enfonçant dans les profondeurs de la jungle guyanaise, les fugitifs ont fini par former des petits groupes qui se transformèrent rapidement en communauté. À partir de là, 6 tribus majeures sont nées : les Djuka, les Saramaka, Les Matawai, Les Kuinty, les Paramaka et les aluku qui ont ensuite pris le nom de Bonis.
La naissance d’une tribu
Les Bonis furent l’une des dernières communautés à s’être formé. Ils sont le fruit de la fusion de trois coalitions de rebelles du début du XVIIIe siècle, à savoir :
- Le groupe d’Asikan-Sylvester, chef d’un groupe de marron qui s’est révolté en 1712 et qui s’était installé le long de la rivière de Cottica, en Guyane Hollandaise (actuel territoire du Surinam)
- Le groupe de Tasisi nenge qui rejoint Asikan-Sylvester en 1750
- Le groupe de Koomanti-Kodjo qui était des esclaves de plantation situés le long de la rivière de Surinam et qui étoffèrent la communauté en 1770.
- Asikan-Sylvester sera le premier chef des Alukus. Il passera ensuite le flambeau à Boni qui est son beau –fils et un vaillant combattant issu d’une mère marron. Son courage et ses qualités de leader lui vaudront d’ailleurs l’admiration de ce peuple qui décida d’adopter son nom pour nommer la tribu.
- Aluku : l’histoire d’une révolte
Au Surinam, les épisodes répétés de marronnage ont fini par alerter les autorités coloniales. Les fugitifs ne se contentaient pas de fuir. En effet, ils pillaient les plantations et les postes militaires et épaississaient leur rang en libérant d’autres esclaves. À cette époque, les Alukus comptaient entre 5000 et 6000 personnes. Dépassés par les événements, les colons décident de signer des traités avec des tribus rebelles pour éradiquer les Bonis.
La résistance des Bonis de Guyane face à l’oppression
En 1757, une révolte marron éclate au Surinam qui est une des colonies les plus importantes du régime Hollandais. Pour neutraliser les Bonis, qui posaient énormément de problèmes à cause de la taille importante de leur communauté, les colons décident de signer un premier accord avec les Djuka en 1762. Ces derniers leur offraient un armistice et plaçaient les Bonis sous leur suzeraineté s’ils acceptaient de les combattre. Ce premier traité destiné à contrer les Bonis fut très vite suivi par celui des Saramaka en 1762. À ce stade, les Bonis subissent de nombreuses attaques des deux tribus qui étaient désormais sous la protection des autorités coloniales.
Mené par Asikan-Sylvester puis par son beau-fils Boni, les Alukus résistent aux assauts combinés des colons hollandais et des Djukas. Grâce à des techniques militaires bien travaillées, des stratégies de guérillas et une excellente connaissance de l’environnement en forêt, ils parviennent à mettre toutes les offensives à leur encontre en échec. C’est d’ailleurs grâce à toutes ses brillantes victoires sur le champ de bataille que Boni est le chef le plus célèbre de la tribu.
Une première défaite
Mise en difficulté par les Bonis, la colonie de Surinam demande de l’aide au roi Guillaume d’Orange. Celui-ci décide de déployer 1200 hommes venus de la métropole en guise de renfort. À leur tête, un général suisse qui était bien déterminé à en finir avec la révolte Aluku. Pourtant, malgré tous leurs efforts, les Bonis parviennent encore une fois à déjouer cette attaque en 1773.
C’est en 1775 que les Bonis subissent une première défaite, mais parviennent tout de même à éliminer une quantité importante de soldats néerlandais. Toutefois, cet événement va amener les Bonis à fuir en Guyane Française. Boni, qui est alors le chef de la tribu, décide d’emmener son peuple à la Crique Sparouine avant de s’installer à Bonidoro de 1783 à 1793. Boni meurt en 1792 et sera succédé par son fils Agossou.
La fin d’une guerre pour la liberté
Sous les attaques des Djukas, les Bonis sont contraints de se retrancher au sud de Gaa Dai où ils s’installeront de 1792 à 1837. Cependant, les Bonis ont été terriblement affaiblis par près de cinquante ans de guerre. Pour mettre un terme à tous les conflits, ils décident d’entrer en contact avec les Français afin de s’établir sur l’Oyapock. Le 7 juillet 1841, 12 Bonis se présentent devant le fort. Malheureusement, n’ayant pas obtenu l’autorisation du gouverneur, 11 d’entre eux seront emmenés au poste de Cafesoca pour y être massacrés. Après cet échec cuisant, les Bonis renoncent à tisser des relations avec les Français et décident de s’installer définitivement sur la rivière du Lawa où ils fondent les villages de Cottica et de Pobiansi.
En 1836, les Bonis essuient une ultime défaite contre les Djukas et tombent sous leur contrôle. Ces derniers feront ensuite la paix en 1860 à la suite de la conférence d’Albina. C’est aussi à ce moment-là qu’est proclamée l’indépendance des Bonis qui apprennent, par la même occasion, l’abolition de l’esclavage. Depuis, les Alukus vivent paisiblement sur le territoire d’Abunasonga qui s’étend sur Maruani en Guyane au Surinam.
Que sont devenus les Bonis de Guyane ?
Bien qu’ils soient considérés comme les symboles d’une lutte sans merci contre l’esclavagisme, le patrimoine culturel des Bonis de Guyane se meurt peu à peu. En effet, les anciens de la tribu ne parviennent pas à transmettre ce savoir à la nouvelle génération. Pour cause, ces derniers ne cherchent pas à retranscrire l’histoire, mais à condamner les actes des colons hollandais. Aujourd’hui, les jeunes Bonis préfèrent même le terme « Afro-Guyanais » à « Bushinengué » (appellation des esclaves marrons), car ils n’en connaissent pas le sens et considèrent ce mot comme péjoratif.
Auparavant, les Bonis de Guyane ne participaient pas aux événements commémoratifs de l’abolition de l’esclavage. La raison était simple, ils considéraient qu’on ne les avait pas libérés, mais qu’ils s’étaient défait tout seul de leurs chaînes. Aujourd’hui, de nombreux Bonis participent à la commémoration de l’abolition de l’esclavage en 1848 à Cayenne ainsi que celui de l’abolition de l’esclavage au Surinam en 1863. Certains espèrent même commencer une commémoration pour le marronnage.
Malgré les nombreux cas de marronnage recensés dans les colonies européennes en Amérique, seuls deux mouvements ont abouti pour être reconnus comme des sociétés maronnes à part entière. Il s’agit de la communauté marron de Saint-Domingue, qui est aujourd’hui plus connue sous le nom d’Haïti, et des Bushinengués de Surinam.
Voir aussi notre article : Harriet Tubman